samedi 7 janvier 2017

Prose de Jean Baptiste Leroux-Dufié



http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5483620x/f2.item.r=%22leroux%20dufie%22.zoom




FAITS DIVERS

M. Leroux-Dufié, bien connu dans l'industrie su-
crière, a adressé la lettre suivante au Courrier du 
Nord.
A Monsieur le Rédacteur en chef du COURRIER DU NORD.

      Monsieur,
Dans le n° du 16 mars de votre estimable journal
je lis une note dans laquelle vous dites <que les jour-
naux américains annoncent qu'il est parti des Etats-
Unis pour la France une machine à fabriquer des 
fers à cheval ; que cette machine peut fabiquer 3,600 
fers par jour, etc. " 
Dans votre n° du 20 mars vous revenez sur cette 
invention (qui, à coup sûr, mérite d'être signalée,
si elle est telle qu'on l'annonce, par l'importance des 
résultats immenses qu'elle devra procurer au public 
en général, aux besoins de l'armée, aux compagnies 
de chemin de fer par traction avec chevaux, aux 
agriculteurs, etc.), et vous dites que sans nous, en 
douter, nous allons bien loin chercher ce qui va pa
raître avant peu de jours à Valenciennes; qu'un de 
vos concitoyens, mécanicien aussi ingénieux qu'ha-
bile, M. F. G., a pris, il y a quelque temps, un bre-
vet d'invention pour une machine du même genre 
mais qu'il est probable que la découverte prêtée au
hasard à un Américain; et celle du M.F. G. ne font
qu'une seule et même chose, car, parait-il, par une
coïncidence singulière le brevet pris par notre com-
patriote porte que la machine, ainsi que celle des 
Etats-Unis, peut fabriquer 3,600 fers par jour; que 
des expériences en grand assurent, vous dit-on, le
succès de cette œuvre dont l'importance et l'utilité
peuvent être facilement appréciées, et qu'elle fera
honneur à l'industrie valenciennoise. Enfin le Cons-
titutionnel du 21 mars a reproduit votre article dans
ses colonnes, ce qui prouve l'importance que vous
avez vous-même reconnue à cette découverte.
Maintenant, permettez-moi de vous dire, Monsieur
le rédacteur que la machine américaine en question
existe depuis plusieurs années ; mais il parait que
jusqu'à présent elle n'a pas répondu aux besoins de
l'industrie. Cette machine d'importation anglaise,
est d'ailleurs, au dire de personnes compétentes et qui 
la connaissent, d'un agencement et d'une complica-
tion tels que les résultats en sont encore à l'état pro-
blématique; les fers sortent de la machine à l'état
brut, et il faut les retoucher à plusieurs reprises avant
de pouvoir les livrer au commerce, ce qui entraîne à
une main-d'oeuvre et à une perte de temps considé-
rable; il ne serait donc pas tout à fait exact de dire  
que celle-ci peut faire 3,600 fers par jours, et de plus,
s'il fallait l'établir en France, elle coûterait plus de 60
mille francs.
M. F. G. connaissait-il la machine américaine, je
l'ignore? Mais à coup sûr il doit savoir (car c'est la
première chose dont doit s'inquiéter un inventeur
sérieux) qu'il a été pris en décembre 1856 un brevet
d'invention pour une machine à fabriquer les fers à
cheval. Cette machine primerait par conséquent celle
de M. F. G., dont le brevet, nous le savons n'est pas
encore delivré.
L'inventeur de cette nouvelle machine est M. Du-
treilh, vétérinaire, rue Guy-Labrossee, 6,  à Paris.
Son appareil est d'une simplicité notable, les fers
sont fabriqués d'un seul coup et pour ainsi dire com-
me avec un emporte-pièce; ils sont, au sortir de l'ap-
pareil, d'un fini et d'une perfection vraiment remar-
quables ; et, de plus, la machine mise en mouvement
peut fabriquer, non plus seulement 3,600 fers par
jour, mais 4,000, mais 5,000 et plus si cela était né-
cessaire et ne laissant rien à désirer non plus sous le
rapport de la qualité.
  Monsieur le Ministre de la guerre, dans sa sollici-
tude pour les innovations utiles, et auquel les échan-
tillons de ces fers ont été présentés par l'inventeur, a
décidé qu'un rapport lui serait adressé sur les avan-
tages que pourrait présenter le système de fabrication
de fers à la mécanique, comparativement au mode
de forger actuel à la main. Ce rapport est prêt, l'usine
et le matériel d'exploitation s'organisent, mais le rap-
port ne sera présenté qu'après les premières livrai-
sons des fers faites principalement aux maréchaux
de l'armée.
  La publicité que vous avez donnée à l'invention de
M. F. G., me fait espérer, monsieur le rédacteur,
que vous ne ferez pas moins pour M. Dutreilh, inven-
teur sérieux, digne du plus grand intérêt, qui a sacri-
fié la plus grande partie de sa fortune à la réalisation
de son invention. Vous savez les difficultés sans nom-
bre et de toute sorte que rencontrent les novateurs
industriels qui vouent leurs veilles à l'avancement de
l'industrie nationale, ils méritent à ce titre les en-
couragements de la publicité qui seule peut fixer
l'attention publique sur les inventions et sur les in-
venteurs; vous n'avez jamais fait défaut à cette classe
si intéressante de travailleurs, c'est pourquoi j'ai la
confiance que vous accueillerez favorablement ma ré-
clamation en faveur de M. Dutreilh pou l'antério-
rité de l'invention de la fabrication mécanique 
des fers à cheval en France, industrie nouvelle
d'une importance considérable et qui peut dans un
avenir très prochain devenir pour le pays et pour la
classe ouvrière spéciale à cette industrie une source
féconde de travail et de profits.
Agréez, monsieur le rédacteur, 
L'expression de mes sentiments bien distingués.
                LEROUX-DUFIE'.


On retrouve dans cet extrait l'intérêt de JB Leroux-Dufié pour la technologie et les brevets (JB Leroux-Dufié ayant lui-même déposé et défendu un brevet d'invention).