jeudi 22 février 2024

Alphonse LEROUX 1812-1824 à Paris

Tranche de vie parisienne. Tranche de vie de la première moitié du 18e siècle que je ne pensais pas trouver.

J'ai donc pu consulter le dossier de libraire d'Alphonse LEROUX (Jean Baptiste Alphonse LEROUX) aux Archives nationales - site de Pierrefitte. Ce dossier individuel consiste en une demande de brevet de libraire à une époque où le gouvernement contrôlait cette profession ainsi que celle d'imprimeur afin d'assurer une censure politique et morale (production et diffusion).

Il ressort du dossier que si Alphonse Leroux a persévéré dans la voie de libraire de 1812 (ou 1814) à 1826, il n'a jamais disposé d'un brevet à son nom; que l'année de son mariage signe un arrêt dans ce milieu qui ne l'a vraisemblablement jamais accueilli. Des années plus tard, Leroux reprendra goût aux livres en éditant et corrigeant l'ouvrage de Caire-Morand sur les pierres précieuses.

Chronologie Leroux :

  • ca-1812-1820 commis chez Méquignon-Havard éditeur du journal la France chrétienne
  • avril 1822 Leroux acquiert la librairie du  libraire St Eloy (pour 3 000 francs (à confirmer)) et fait sa première demande de brevet (reprise du brevet de St Eloy). Cette longue demande argumentée a vraisemblablement été rédigée par Leroux avec l'aide de son frère étudiant en droit (futur notaire aux Batignolles de 1824 à 1830). Leroux réside rue des grands Augustins n°9.
  • août 1822 le rapport du préfet de police est défavorable au motif qu'il ne serait pas royaliste et accueillerait des libéraux.
  • octobre 1822 ordre de fermer la libraire Leroux
  • 1822 Alphonse Leroux vit avec une femme (selon le rapport de police)
  • 1822-1824 Leroux, toujours sans brevet, exerce le métier de libraire vraisemblablement derrière un hommme de paille (son vendeur François de Saint Eloy) et sous couvert d'un titre de commis dans la librairie. En effet St Eloy abandonne la carrière de libraire pour celle d'hussier à la chambre des députés (de 18xx à 18xx). En 182x-1824, Leroux se pare du titre d'éditeur.
  • Une note du dossier de 1824 dénonce des ouvrages contraires aux mœurs dans la cabinet de lecture adossé à la librairie de Leroux. Les bijoux indiscrets, le Faublas militaire, les liaisons dangereuses figurent parmi les ouvrages interdits listés dans ce recueil à l'usage de la police sur Google Books.
  • 1824 Leroux réitère sa demande de brevet de libraire.
  • mai 1826 Leroux épouse Rose Henriette Duffié, fille d'un raffineur de sucre. Lui qualifié d'éditeur-libraire, en société de librairie avec Constant Chantpie au Palais Royal.

La société de librairie est-elle un ultime stratagème pour s'affranchir d'un brevet individuel de libraire, en s'associant à un libraire breveté en la personne de Chantpie?

La liste des ouvrages interdits en librairie en 1824. En annotation, la mention "Leroux n'est pas breveté"


Le catalogue du cabinet de lecture d'Alphonse Leroux (132 pages)



Transcription du courrier du 23 avril 1822

Paris, le 23 avril 1822

Monseigneur,

Permettez-moi  de réclamer des bontés de votre Excellence un brevet de libraire. J'ai acquis tout récemment le fond de M de St Eloy, au Palais Royal Galerie n°202, et M. l'inspecteur m'a déjà demandé plusieurs fois l'expédition de cette pièce. J'ose espérer que votre Excellence voudra bien me la faire expédier, et que les pièces jointes me seront auprès d'elle une sure garantie.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

De votre Excellence,

Le très humble et très obéissant serviteur.

Signé A. Leroux

Palais Royal, Galerie de bois, n°202

Suit un certificat d'aptitude de quatre libraires dont Méquignon junior

 

Transcription d'un courrier non daté mais supposé de 1822

 Leroux (Alphonse Jean Baptiste)

A son Excellence le Ministre de l'Intérieur

Monseigneur

Expose Alphonse Jean Baptiste Leroux,

Qu'il jouissait paisiblement d'une boutique de libraire dans les Galeries de bois du Palais Royal, par lui acquise du Sr François de St Eloy, huissier de la chambre des députés, lorsque tout à coup, il a reçu l'ordre de fermer cette boutique ou d'en subir forcement la cloture.

Il s'est adressé à l'instant au Prefet de Police, pour faire cesser cet état de choses; mais la réponse du Prefet a été qu'il n'avait agi que d'après les ordre de votre Excellence, c'est donc à elle que l'exposant doit avoir recours.
Dès le dix mai dernier il s'est pourvu à votre Excellence et a déposé 1° la demande d'un brevet de libraire comme successeur du Sr François, aux termes de la convention y énoncée 2° le certificat de moralité et de capacité exigé, par là il s'est pleinement mis en regle; cependant le motif exprimé dans l'exploit est qu'il n'était pas breveté et qu'ainsi il ne pourait continuer ses fonctions de libraire.

D'ailleurs qu'il lui soit permis, indépendamment du fait, de representer à votre Excellence que la mesure est retroactive par sa nature même, puisqu'elle le frappe sans l'avoir averti; il était de toute Justice, comme de toute règle de le constituer en retard et de lui dire: si dans tant de jours, vous n'êtes breveté, votre boutique sera close. Alors le procédé eut été regulier et il eut été punissable s'il n'avait pas obéï. Mais sans l'avoir prevenu on s'est préenté et on lui a dit : vous êtes sans brevet soyez fermé. avec cette manière là, un libraire serait toujours dans l'angoisse du présent et les alarmes de l'avenir.

En principe toute disposition plus ou moins fiscale est comminatoire, et elle est moins ordre qu'avertissement.

Ici il n'y a dans la boutique occupée par l'exposant qu'un seul et unique libraire, successeur du Sr François, et presqu'à son entrée en jouissance, le voilà dépossedé! Rien de regulier que contre celui qui resiste et il ne s'est pas même douté qu'il n'etait pas en règle; il a crut tout uniement que François était transformé en Leroux, qui en avait tous les droist, il croyait le décret imperial de 1808 tombé en desuetude, et par ce qu'il s'est trompé de fait, le voilà entre sa boutique fermée, et son vendeur qui prétendra ne pas devoir lui rendre trois mille francs qu'il lui a payés : votre Excellence ne le voudra pas; il est dans un cas absoluement isolé et qui ne tire à aucune conséquence

Rien ne serait don, plus immérité que la peine qu'on lui imposerait, à la veille d'un mariage qu'il lui deviendrait impossible de contracter, et son état serait perdu, lui auquel aucun acte repréhensible ne peut être opposé!

Ainsi trop de motifs se réunissent en faveur de sa réclamation, pour qu'il ne soit fondé à espérer que votre excellence lui permettra de rouvrir sa boutique, et de continuer ses fonctions après qu'il se sera muni, comme il le demande depuis son établissement et comme il est prêt à le faire à l'instant, du brevet exigé par la loi.

D'ailleurs s'il entrait dans l'intention de votre Excellence de reduire le nombre des libraires, en faisant fermer les boutiques de ceux qui ne seraient pas brevetés, il offre de faire demettre == === ===== en sa faveur le Sr François, son vendeur, de son Brevet.

A. Leroux

Au moment où l'exposant reçoit l'ordre de fermer sa boutique, l'administration des contributions directes lui fait passer l'avertissement de payer une somme de 491 francs; somme énorme comparée aux produits de son Etablissement.

 


 

 

 

 Transcription du rapport de 1822

Le 6 9bre 1822, demande d'un brevet de libraire - Rapport

Le Sr Leroux (Alphonse), Palais Royal, Galerie de bois, n°202, passe généralement pour avoir des sentiments anti-monarchiques; il est lié, dit-on, avec les libraires Théry et Chaumerot, et de jouir d'aucune considération parmi les libraires bien fxxx de la capitale. On n'a pu m'assurer positivement s'il est marié ou célibataire; cependant il existe chez lui une femme qui paraît jouir de toutes les prérogatives d'une maîtresse de maison.
Le commissaire de police Gexxxx


 

 

 

Transcription du dossier de 1824

A son Excellence Monseigneur le Ministre de l'Intérieur.

Monseigneur

J'ai l'honneur d'exposer à votre Excellence qu'étant dans l'intention de devenir le successeur de Mr. François de Saint Eloy, libraire Palais Royal galerie de boi, chez lequel je suis depuis deux ans, en qualité de commis; je viens conjointement avec Mr François de Saint Eloy supplier votre Excellence de vouloir bien consentir à ce qu'il se démette de son brevet en ma faveur et d'avoir la bonté d'autoriser la substitution de mon nom au sien.

Anterieurement à mon entrée chez Mr François de Saint Eloy j'étais devenu commis à la librairie Eclésiastique de Mr Méquignon Havard, alors éditeur du journal intitulé la France Chrétienne chez lequel j'ai appris cet état et où je suis resté huit ans.

Je joins ici, Monseigneur, des certificats de moralité qui m'ont été délivré par le maire de la commune ou demeurent mes parents et par Mrs François de St Eloy Méquignon et d'autres libraire de la Capitale

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect Monseigneur de votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur

A. Leroux

Paris le 31 mai 1824

 et une attestation de moralité du maire de Passy:

Département de la Seine - Arrondissement de St-Denis - Mairie de Passy

Nous maire de la commune de Passy près Paris, chevalier de la Légion d'honneur, certifions que le Sr Alphonse Jean Baptiste Leroux commis libraire, domicilié chez la De Ve Leroux, sa mère à Passy grande rue n°9, est de bonne vie et mœurs, et qu'il ne nous est jamais rien parvenu que de favorable sur son compte.

En foi de quoi nous lui avons délivré le présent. 

A Passy le 15 avril 1824, signé Augé xxx, maire


Transcription d'un courrier du dossier, non signé daté uniquement de l'année 1824 (pas de date)

Demande de brevet de libraire

Sire, 

Leroux, Jean Baptiste Alphonse, rue neuve St augustin n°6

Ose implorer la justice et les bontés infinies de Votre Majesté pour obtenir un brevêt qu'il sollicite depuis plus de deux ans sans succès et sans espoir.
Le sieur Leroux étant sous les armes le jour que votre Majesté fit son entrée solennelle dans Paris au milieu de l'allégresse d'un peuple avide de donner au meilleur des Princes de nouvelles marques d'amour et de dévoûment, remis en vos mais propres, Sire, une demande tendante à recevoir ce brevêt l'objet de toute mon ambition; Votre Majesté accueillit le sieur Leroux avec cette bonté touchante qui gagne facilement les cœurs; il se félicitait de son bonheur, il espérait d'avoir enfin justice lorsqu'il voit sous les pieds des chevaux la demande qu'i, un moment auparavant, était pressée par les mains du plus grand des Monarques.

Le sieur Leroux, en demandant un brevêt de libraire, croit y avoir des titres et mêmes des droits incontestables par son amour et sa fidélité à la cause de la légitimité et aux institutions du gouvernement, par une conduite et des mœurs que le moindre soupçon ne saurait atteindre.
Il est avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté, le très humble, très soumis et très fidèle sujet.

Paris le       1824.