vendredi 27 mars 2020

Sépulture GUERIN-BOUTRON au père Lachaise

A défaut d'une visite sur place, un site web donne accès à plusieurs photos du monument de sépulture Guérin-Boutron au cimetière du père Lachaise à Paris.


https://e-monumen.net/patrimoine-monumental/ornements-et-plaques-de-la-sepulture-guerin-boutron-division-44-cimetiere-du-pere-lachaise-paris-75020/



FAMILLE
GUERIN-BOUTRON

Inscriptions sur les faces du monument :


Marie Louis Antoine
GUERIN
Juge au T de comm.ce
1814-1866

Victoire Marie xxx
GUERIN
NEE BOUTRON
1817-1867


côté gauche
---
Sigismond ROBINEAU
1835-1907

Mme ROBINEAU
NEE Alice
1840


côté droit en grande partie masqué
---
Pierre Victor
XXX

XXX
XXX



Voici les détails correspondants issus des archives de la ville de Paris ("cimetières et pompes funèbres" et Etat-civil)


Marie Louis Antoine
GUERIN
Juge au T de comm.ce
1814-1866
Inhumé Concession n°45 13 janvier 1866
E-C : Décédé le 13/1/1866 à Paris 2 acte 56

Victoire Marie xxx
GUERIN
NEE BOUTRON
1817-1867
inhumée le 23 février 1887  concession 193686 de 1887, 69 ans décédée à Paris 6 Boutron femme Guérin Marie Antoinette Victoire, caveau 44 division 3 ligne
E-C : décès acte 374 du 21 février 1887 à Paris 6

côté gauche
---
Sigismond ROBINEAU
1835-1907
Inhumé le 2 avril 1907 44.3-45.4-42 concession 190934 (venant de l'Isle Adam)
TD L'ISLE ADAM acte du 3 mars 1907 ROBINEAU Sigismond Pierre. acte non disponible en ligne

Mme ROBINEAU
NEE Alice GUERIN, fille de Louis Antoine GUERIN
1840-1906
Inhumée le 18 mai 1906 44.3-45.4-42 concession 190934 (venant de l'Isle Adam)  Guérin femme Robineau Marie Louise
Robineau née Guérin Marie
TD L'ISLE ADAM acte du 16 mai 1906 GUERIN Marie Louise Alice femme ROBINEAU. acte non disponible


Les époux Robineau étant décés à peu de temps d'intervalle, ils figurent tous les deux sur la même table (pluri-)annuelle du registre des cimetières parisiens (Père Lachaise).



côté droit
---
Pierre Victor Auguste ROUMESTANT
1835-1891
inhumé le 4 mai 1891 concession 190934 de 1886
E-C acte de décès n°1996 le 01/5/1891 à Paris10

Mme ROUMESTANT
NEE Marie Louise Amélie GUERIN, fille de Louis Antoine GUERIN
1842-1920
inhumée le 27/1/1920 Vve Roumestant née Guérin 44.3/45.5/42 190.934
E-C acte de décès 235 du 23 janvier 1920, 77 ans


Les sœurs Guérin-Boutron se sont mariées le même jour en la mairie du deuxième arrondissement.
A gauche le couple Robineau, à droite la couple Roumestant... comme sur le monument sépulcral.








jeudi 26 mars 2020

Sépulture MORIN à Montmartre

Un matin d'été 2015 je suis allé rapidement au cimetière de Montmartre photographier la sépulture des MORIN (MORIN-DUFFIE) avant de redescendre au sud de Paris pour aller au travail.
Les photos sont de médiocre qualité car le soleil venait de se lever mais voici la retranscription des noms apparaissant sur ce monument qu'il était temps de mettre en ligne...








FAMILLE CH. MORIN




Inscriptions sur la face supérieure du monument :


côté gauche       côté droit   
---
 Félicie MORIN     Charles MORIN
1798-1884    1825-1903
---
    Maria MORIN     Angelina MORIN
1857-1911    1832-1907
---
Jean Marie MORIN    Thérèse MORIN      
                    1909-1971     née BRUERE1914-2005
---



Pour chaque personne, j'ai complété d'informations accessibles sur le site des archives de Paris ("cimetières et pompes funèbres", "recrutement militaire de la Seine" et Etat-civil)




côté droit
---
Charles MORIN
1825-1903
(Inhumé le 21/3/1903 22.3.13 (division.ligne.numéro)- C. 139/1884 (concession) Charles Henri Félix)
E-C 19/3/1903 Fontenay sous bois acte 45 Charles Henry Félix Léon

Angelina MORIN
1832-1907
(Inhumée le 17/12/1907 Angélina née DUFFIé 22.3.13 allée de Montmorency-C.139/1884 - 75 ans du 9 Arrondissement)
E-C 15 dec 1907 Fontenay sous bois acte 206 

Thérèse MORIN
née BRUERE
1914-2005
E-C Née à Paris 17 le 3 janvier 1914 acte 10, MM Décédée à Paris 15


côté gauche
---
Félicie MORIN
1798-1884
(inhumée 22.2.12 - 139/1884 née Charlier Marie Jeanne)
E-C Acte 37 de 1884 à Fontenay sous bois
Mariée à Antony acte 7 1824 avec MORIN Nicolas fils de Etienne et GUIBOURG

Maria MORIN
1857-1911
(Inhumée 7/1/1911 22.3.13 Montmorency-139/1884 Fontenay sous bois)
E-C 6 janvier 1911 Fontenay s b acte 2 Maria Clarrice Augusta

Jean Marie MORIN
1909-1971
E-C Né à Paris8 12/9/1909 acte 487 Jean Marie Maurice Pierre
base INSEE décédé Paris 16 11/7/1971
CG-LH (Croix de guerre et Légion d'honneur)
---

Note : si vous recopiez des données de ces articles, merci de ne pas publier sur les bases de généalogie la dernière génération à savoir le couple MORIN-BRUERE. Merci

dimanche 22 mars 2020

Chenu par Chenu

A défaut de disposer de l'éloge d'Albert Naud fait lors de la Conférence du 7 décembre 1935 (que je cherche toujours), voici un mot de Chenu sur Chenu, son père. Notice sur Charles-Alphonse Chenu par son fils Charles-Maurice Chenu.


disponible en ligne sur le site Gallica de la BNF (Bulletin de l'associaiton amicale des secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence des avocats)


M. CHARLES CHENU
NOTICE LUE PAR M. CHARLES-MAURICE CHENU


  Au seuil de cet éloge, j'ai hésité : d'autres n'étaient-ils pas, pour le faire, mieux qualifiés que moi, d'autres qui avaient été les compagnons, les adversaires, les collaborateurs du bâtonnier CHENU?
  Mais puisqu'il m'appartenait de choisir parmi eux, comment le faire sans chagirner des amis sincères, dont l'affecton - je pourrais dire le culte  avaient, au lendemain de sa mort, ému et réconforté les siens?
  Dans mon cabinet, un buste, depuis un an, fait face à ma table. Un buste qui a fixé l'insaisissable, l'indulgence, l'ironie d'un regard. Et ce regard, he l'ai rencontré tandis que je m'interrogeais. Je l'ai senti posé sur moi, et j'ai cru le traduire :
  « Toi qui m'as connu...», disait-il.
  Et il m'a semblé que sans impiété, je ne pouvais confier à d'autres le soin qui m'incombait.
  Ceux-là me pardonneront, qui ont été les meilleurs amis de mon père. Et si je m'interdis de prononcer leurs noms, hormis ceux des disparus, c'est que l'évocation d'un nom pourrait faire croire à l'oubli d'un autre.
  Apparence d'ingratitude que me reprocherait celui dont j'entreprends l'éloge.
  Charles-Alphonse Chenu était né en 1855. Son père travaillait aux Etablissements Cail. Il habitait Grenelle, très loin du centre de Paris. Quand il fallut mettre l'enfant au lycées, il ne pouvait être question d'externat, ni même de demi-pensionnat qui permet, le soir, le retour au foyer. Ce fut l'internat.
  L'internat dans sa rigueur d'alors. L'école Aubert-Savary menait à Condorcet. Inconfortable, obscure, glaciale l'hiver, elle donnait en tous temps à ses éllèves de mauvaise cuisine, de mauvais lits, de mauvaise hygiène. A travers les descriptions que j'en ai reçues, elle rejoint dans ma mémoire certaines scènes lugubres du Nicolas Nickleby de Dickens.
  Pourtant le petit interne comprenait la nécessité d'une aussi rude séparation.
  Et il travaillait.
  Des enfants irrévérencieux - et mal classés - mettent parfois en doute les succès scolaires que jadis remportait leur père. Comment l'aurions-nous pu? Nous connaissions, dans sa bibliothèque, les rayons où s'alignaient les livres de prix que jadis Condorcet avait distribués. Nos plaisanteries venaient se briser contre ces palmarès, où le fort en thème excellait également en version, en français, en histoire, en mathématiques!...
  Puis, dans la vie de l'interne d'Aubert-Savary, une coupure brusque : la guerre de 1870. Coupure dont il ne saisit pas tout de suite la portée. La France sera victorieuse, personne ne l'ignore. Et si sa mère l'emmène en Charente, ainsi que sa sœur cadette, c'est une aubaine. Si, en octobre, l'ecole ne rouvre pas ses portes, il s'en consolera. Il court dans la campagne, il joue avec les garçons du village. L'hivert, avec eux, il tend des panneaux, prend des oiseaux avec de la glu. Cette vie au grand air le libère, lui permet de se développer.
  L'ombre pourtant descend sur ses jeux. Il faut bien, maintenant, admettre l'idée de la défaite, et puis la honte de la guerre civile. La commune fait frémir la France - et son père est à Paris, son père dont on cesse d'avoir des nouvelles.
  La paix revenue, la femille se regroupe pourtant.
L'élève d'Aubert-Savary passe ses examens. Que va-t-on faire de lui maintenant? Le palmarès, trop beau, ne permet de distinguer aucune vocation : il les a toutes.
  Puisqu'il a le premier prix de mathématques, il est tout désigné pour Polytechnique : c'est l'avis de son père. Mais sa mère a entendu faire des réserves sur Polytechnique : il paraît que les polytechniciens se fatiguent tellement à l'Ecole qu'ils en sortent très diminués. Erreur flagrante. Mais bénissons-là : c'est à elle que nous devons un grand avocat.
  Pour l'instant, le jeune homme a d'autres images en tête : il va accomplir son volontariat, et il rêve d'uniformes, de charges de cavalerie, de revanche possible. Quelles vacances admirables après l'enfance envoûtées d'Aubert-Savary!
  Et ce sont, en effet, pour lui des vacances. Si l'internat a été abominable, le volontariat va être divin. Des photographies nous conservent un cavalier joyeux au regard clair et direct, à la lèvre à peine ombragée, portant fièrement un dolman somptueux qui eût fait l'orgueil de Murat lui-même. Les volontaires avaient des libertés vestimentaires dont ils usaient largement, et leurs fils, à l'âge ingrat du képi-pompon, ont souvent rêvé devant les passementeries et les chamarrures dont s'agrémentaient alors, à Lunéville, des chasseurs de 2e classe.
  Un an plus tard, plein de santé et de bonne humeur, le cavalier dépouille le bel uniforme pour revenir à Paris et suivre les cours de l'Ecole de Droit.
  L'étudiant continue l'élève de Condorcet, et retrouve sans peine l'habitude du succès. Mais, cette fois, avec la joie de vivre apprise à Lunéville, et qu'il entend ne pas abandonner.
  Cependant, sans attendre le doctorat, il s'inscrit au stage.
  Il suit les réunions de colonne et grave dans sa mémoire les règles du Cresson. Il en est d'imprimées, il en est d'orales. Et parmi ces dernières, il en est une qui les explique toutes : « Pour être avocat, il faut pouvoir attendre...».



Page 99 :
Chasseur passionné, il rédige un traité juridique : « Chasse et Procès. »
Avec Roger Allou, il entreprend un autre ouvrage : « Grands Avocats du siècle ». Rien de plus utile pour eux. Car en faisant revivre, en une galerie de portraits, les maîtres de la barre, ce sont les règles de la plaidoirie qu'ils s'efforcent de dégager, et peut-être celles du succès.
Dans la salle Marjolin, ils cherchent passionnément les plaidoyers de Berryer ou de Chaix d'Estange. Et voici qu'ils découvrent, avec mélancolie, le poids de la poussière qui recouvre leurs tranches.


Jules Simon

Page 100:
Le client s'assied et se nomme : Edmond Magnier, sénateur du Var et directeur de l'Événement.


page 112
De ses articles, un recueil subsiste : « De l'Arrière à l'Avant. »



https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55487340/f369.item.r=chenu



M. CHARLES CHENU
NOTICE LUE PAR M. CHARLES-MAURICE CHENU
Au seuil de cet éloge, j'ai hésité : d'autres n'étaient-ils pas, pour le, faire, mieux qualifiés que moi, d'autres qui avaient été les compagnons, les adversaires, les collaborateurs du bâtonnier CHENU?
Mais puisqu'il m'appartenait de choisir parmi eux, comment le faire sans chagriner des amis sincères, dont l'affection —je pourrais dire le culte — avaient, au lendemain de sa mort, ému et réconforté les siens?
Dans mon cabinet, un buste, depuis un an, fait face à ma table. Un buste qui a fixé l'insaisissable, l'indulgence, l'ironie d'un regard. Et ce regard, je l'ai rencontré tandis que je m'interrogeais. Je l'ai senti posé sur moi, et j'ai cru le traduire :
« Toi qui m'as connu... », disait-il.
Et il m'a semblé que sans impiété, je ne pouvais confier à d'autres le soin qui m'incombait.
Ceux-là me pardonneront, qui ont été les meilleurs amis de mon père. Et si je m'interdis de prononcer leurs noms, hormis ceux des disparus, c'est que l'évocation d'un nom -pourrait faire croire à l'oubli d'un autre.
Apparence d'ingratitude que me reprocherait celui dont j'entreprends l'éloge.
Charles-Alphonse Chenu était né en 1855. Son père travaillait aux Établissements Cail. Il habitait à Grenelle, très loin du centre de Paris. Quand il fallut mettre l'enfant au lycée, il ne pouvait être question d'externat, ni

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même de ce demi-pensionnat qui permet, le soir, le retour au foyer. Ce fut l'internat.
L'internat dans sa rigueur d'alors. L'école Aubert-Savary menait à Condorcet. Inconfortable, obscure, glaciale l'hiver, elle donnait en tous temps à ses élèves de mauvaise cuisine, de mauvais lits, de mauvaise hygiène. A travers les descriptions que j'en ai reçues, elle rejoint dans ma mémoire certaines scènes lugubres du Nicolas Nickleby de Dickens.
Pourtant le petit interne comprenait la nécessité d'une aussi rude séparation.
Et il travaillait.
Des enfants irrévérencieux ■—■ et mal classés — mettent parfois en doute les succès scolaires que jadis remportait leur père. Comment l'aurions-nous pu? Nous connaissions, dans sa bibliothèque, les rayons où s'alignaient les livres de prix que jadis Condorcet avait distribués. Nos plaisanteries venaient se briser contre ces palmarès, où le fort en thème excellait également en version, en français, en histoire, en mathématiques!...
Puis, dans la vie de l'interne d'Aubert-Savary, unecoupure brusque : la guerre de 1870. Coupure dont il ne saisit pas tout de suite la portée. La France sera victorieuse, personne ne l'ignore. Et si sa mère l'emmène en Charente, ainsi que sa soeur cadette, c'est une aubaine. Si, en octobre, l'école ne rouvre pas ses portes, il s'en consolera. Il court dans la campagne, il joue avec les garçons du village. L'hiver, avec eux, il tend des panneaux, prend des oiseaux avec de la glu. Cette vie au grand air le libère, lui permet de se développer.
L'ombre pourtant descend sur ses jeux. IL faut bien, maintenant, admettre l'idée de défaite, et puis la honte de la guerre civile. La commune fait frémir la France — et son père est à Paris, son père dont on cesse d'avoir des nouvelles.
La paix revenue, la famille se regroupe pourtant.

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L'élève d'Aubert-Savàry passe ses examens. Que va-t-on faire de lui maintenant? Le palmarès, trop beau, ne permet de distinguer aucune vocation : il les a toutes.
Puisqu'il a le premier prix de\ mathématiques, il est tout désigné pour Polytechnique : c'est l'avis de son père. Mais sa mère a entendu faire des réserves sur Polytechnique : il paraît que les polytechniciens se fatiguent tellement à l'École qu'ils en sortent très diminués. Erreur flagrante. Mais bénissons-là : c'est à elle que nous devons un grand avocat.
Pour l'instant, le jeune homme a d'autres images en tête : il va accomplir son volontariat, et il rêve d'uniformes, de charges de cavalerie, de revanche possible. Quelles vacances admirables après l'enfance envoûtée d'AubertSavary!
Et ce sont, en effet, pour lui des vacances. Si l'internat a été abominable, le volontariat va être divin. Des photographies nous conservent un cavalier joyeux au regard clair et direct, à la lèvre à peine ombragée, portant fièrement un dolman somptueux qui eût fait l'orgueil de Murât lui-même. Les volontaires avaient des libertés vestimentaires dont ils usaient largement, et leurs fils, à l'âge ingrat du képi-pompon, ont souvent rêvé devant les passementeries et les chamarrures dont s'agrémentaient alors, à Lunéville, des chasseurs de 2e classe.
Un an plus tard, plein de santé et de bonne humeur, le cavalier dépouille son bel uniforme pour revenir à Paris et suivre les cours de l'École de Droit.
L'étudiant continue l'élève de Condorcet, et retrouve sans peine l'habitude du succès. Mais, cette fois, avec la joie de vivre apprise à Lunéville, et qu'il entend ne pas abandonner.
Cependant, sans attendre le doctorat, il s'est inscrit au stage.
Il suit les réunions de colonne et grave dans sa mémoire les règles du Cresson. Il en est d'imprimées, il en est



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d'orales. Et parmi ces dernières, il en est une qui les explique toutes : « Pour être avocat, il faut pouvoir attendre... »•
Règle aristocratique, sans doute, qu'il ne faut pas juger avec nos yeux d'aujourd'hui. Règle qui heurte nos idées égalitaires, mais qu'explique, sous son apparent égoïsme, un culte de la tradition, un respect profond de la profession. Les grands anciens sont dépositaires d'une haute mission. Auxiliaires de la justice, ils doivent être dignes d'elles, à l'abri des influences, des compromissions, des transactions de conscience.
Ils redoutent l'ambition trop rapide, qui ne s'accommode pas de la « longue patience ».
Et le stagiaire attend, comme attendra l'avocat inscrit. Il entre dans le cabinet de Cléry, célèbre par ses boutades, et dont l'indulgence n'est pas le défaut dominant. Cléry lui donne du travail et des encouragements. Mais il y a dans ces caractères rudes un attrait singulier. Leur amitié grandit parfois à ne pas s'exprimer : moins en fleurs, plus en racines. A mieux connaître les hommes, on subit parfois l'attrait de pareilles natures : leur refus d'être aimables mérite d'être aimé.
Mais cette période d'attente, mon père le sait, n'a pas le droit d'être stérile : elle doit s'appeler préparation.
Il concourt a la Conférence : nommé second secrétaire, il aurait aimé faire l'éloge de Chaix d'Estange. Mais le premier secrétaire exerce sur le grand orateur un droit de priorité.
Reste un autre bâtonnier, plus effacé, dont le mérite principal paraît avoir tenu dans la rédaction d'un recueil de jurisprudence.
Le jeune secrétaire fera son éloge, mais avec ces nuances dont s'agrémentent, à l'Académie, les discours de réception. En quelques lignes, voici jugée l'oeuvre écrite de son ancien : « On rencontre dans ce recueil les décisions les plus

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inattendues et les plus variées. Il en est d'intérêt général,' il en est d'intérêt local; il en est même d'intérêt nul. »
En s'étonnant du désordre dans lequel elles sont présentées, il résume l'ouvrage en cette formule :
« Tout y est. Rien ne s'y trouve. »
Le succès de son discours met mon père en goût. Pour meubler les loisirs que lui laissent les audiences, il prend souvent la plume.
Chasseur passionné, il rédige un traité juridique : « Chasse et Procès. »
Avec Roger Allou, il entreprend un autre ouvrage : « Grands Avocats du siècle ». Rien de plus utile pour eux. Car en faisant revivre, en une galerie de portraits, les maîtres de la barre, ce sont les règles de la plaidoirie qu'ils s'efforcent de dégager, et peut-être celles du succès.
Dans la salle Marjolin, ils cherchent passionnément les plaidoyers de Berryer ou de Chaix d'Estange. Et voici qu'ils découvrent, avec mélancolie, le poids de la poussière qui recouvre leurs tranches.
La chute de cette poussière est-elle inévitable?
Est-il vain de s'indigner contre l'injustice de la renommée, qui prolonge l'écrivain au delà des siècles et qui s'enfuit avec le souffle de l'orateur?
Pourtant ces avocats ont été la parure de leur époque au même degré que tel poète ou tel écrivain. Plus qu'eux peut-être, ils ont remué les foules.
Mais ils les ont remuées par ces mille moyens mystérieux qui font l'éloquence, et dont, la vie est l'essentiel.
Verba volant... hélas!
Les jeunes auteurs veulent-ils encore en douter, un illustre philosophe, en préfaçant leur livre, va dissiper froidement leurs dernières illusions. C'est à Jules Simon que la préface a été demandée. Dès sa première ligne, il loue la bonne pensée qu'ont eue les auteurs. Et dès la seconde, il s'explique :
« On a beau publier des recueils de beaux plaidoyers;

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ces recueils ne se lisent pas, parce que les avocats ne plaident que des causes particulières, et qu'il n'y a de durée en littérature que pour ce qui est général. » Jules Simon ne s'en affecte pas. N'a-t-il pas écrit, lui, des livres qui ne périront pas ?
Imprudente confiance. La foule n'est pas seulement ingrate pour les orateurs. Elle l'est aussi pour ses philosophes.
Exegi monumentum aère paerennius.
Comme ses oeuvres, Jules Simon a été coulé dans le bronze. Il a pu croire qu'il durerait autant que l'église de la Madeleine, qui lui faisait face. Un jour pourtant, sa statue elle-même s'est évaporée sans laisser de traces.
Sculpta volant...
Cependant Jules Simon a donné en passant aux jeunes auteurs un conseil qui vaut d'être médité :
« Un grand avocat s'élève toujours au-dessus des faits de la cause.
Soit. Mais l'occasion?
Je sais bien qu'un mur mitoyen peut au grand avocat servir de tremplin. Mais à la condition de trouver au-dessus de lui une plate-forme pour le recevoir.
Et soudain, voici la plateforme, voici le miracle.
Un soir d'été, tout proche des vacances judiciaires, un coup de sonnette. Mon père est seul dans son appartement : sa famille, déjà, est à la campagne. Il ouvre. C'est un client qui a besoin d'un conseil rapide. Et la première qualité qu'il demande en ce moment à un avocat, c'est d'habiter près de chez lui et de le recevoir à 10 heures du soir.
Un voisin lui a donné l'adresse. Il y a couru.
Le client s'assied et se nomme : Edmond Magnier, sénateur du Var et directeur de l'Événement.
J'ai parlé de miracle : il y a deux miracles à la vérité. Ce client tombé dans la nuit, premier sujet d'émerveillement. Mais qu'il soit demeuré une fois le jour venu et ses yeux dessillées, quelle surprise plus grande encore !

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Les clients d'aujourd'hui ne seraient plus exposés à de pareilles erreurs.
Or, cet homme averti, ce sénateur qui dirige un journal et qui vient du Var, demeure fidèle au jeune avocat qu'il est venu consulter un soir de panique.
Admirable époque, qui possédait un Cresson pour prêcher l'attente, et des disciples pour lui donner raison!...
Magnier, c'est l'affaire d'assises, et la belle affaire. Un mandat politique, un journal parisien, un scandale financier dont on parle depuis longtemps : les Chemins de fer du Sud de la France. Et dans la coulisse le célèbre baron de Reinach, une poignée de parlementaires, une odeur de corruption.
Je parle de celle que l'opinion prétendait sentir. Moins malveillant, le Parlement n'avait rien remarqué. L'opinion est femme. Prompte à s'émouvoir, elle voit volontiers partout des escrocs, des faussaires, des assassins.
Alors que, dans sa masculine ingénuité, le Parlement n'en peut voir nulle part.
Ah, que le public a l'esprit mal tourné! On le déplore, mais puisque le mal est incorrigible, que l'opinion veut des exemples, le Parlement veillera au redressement des moeurs; la justice sera implacable, égale pour tous, et n'hésitera pas !
En 1895, elle, n'hésita pas : elle choisit Edmond Magnier. Edmond Magnier avait vendu de la publicité dans l'Événement, aux chemins de fer du Sud de la France. Trop cher, disait l'accusation.
A vrai dire, d'autres avaient reçu de cet or impur sous des prétextes moins avouables, d'autres qu'on n'inculpait pas. Et sans doute était-ce mieux ainsi. Qui veut le redressement des mœurs évite de trop remplir les prisons : il faut laisser aux honnêtes gens la réconfortante illusion de constituer une majorité.
Ces raisons d'État ne convainquirent pas l'avocat de Magnier. Dans son client, il ne voyait que le bouc émissaire

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sacrifié aux colères publiques. Quelle occasion, cette fois, d'élever le débat, et comme l'avocat s'en saisit, pour dénoncer les corrupteurs et les corrompus que la justice n'a pas cru devoir inquiéter!
On l'écoute avec surprise d'abord, puis passionnément. Cette voix claire, ce style impeccable, cette ironie mordante qui déchire poliment les fourbes, frappent d'admiration.
Ah ! quelle joie de donner sa mesure, et de rencontrer devant soi de tels adversaires! Ceux qui l'ont entendu savent qu'ils reverront l'avocat de Magnier.
Maintenant, il peut attendre.
Il le croit du moins, mais voici les mois qui s'ajoutent aux mois sans qu'un dossier important prenne le chemin de son cabinet. Quelle impatience et quelle inquiétude, s'il ne sert de rien d'avoir fait ses preuves. Des mois ! Et les remous s'effacent vite sur l'océan des renommées. Bientôt, qui parlera de l'affaire Magnier?
Inquiétude trop rapide : l'effort n'a pas été perdu. Un jour, un modeste inspecteur de la sûreté entre dans le cabinet de mon père. Il s'appelle Dupas : il lui confie une nouvelle affaire, quelque peu cousine de l'affaire Magnier. C'était une des dernières fusées que tirait la justice en l'honneur de Panama. L'époque était riche en concussions. Cette richesse, pourtant, n'allait pas encore jusqu'à l'insolence. Et peut-être cette mesure — si je puis dire — était-elle un bien pour les avocats. Car le scandale, aux temps de Panama, avait le temps devant lui. On avait le loisir de s'y intéresser, et d'écouter les plaidoiries. : Heureuse époque, où tout finissait comme tout doit finir : par des chansons et des procès!
« Lentement et doucement », telle était, devant l'escroquerie la devise du Gouvernement. Et le scandale s'enfonçait peu à peu, silencieusement, dans les sables mouvants de la procédure...
Scandales édulcorés ! Doux scandales d'autrefois !

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On connaît l'histoire, et la légèreté de certains parlementaires qui avaient accepté l'or impur d'Arton.
Déplorable imprudence! Le Parlement, il est vrai, faisait alors son apprentissage des choses financières. Il tâtonnait encore.
Il y avait bien sur ses bancs quelques précurseurs qui avaient reçu des honoraires. Mais la plupart, hélas, n'avaient reçu que des chèques...
Le Gouvernement, bien entendu, voulait la lumière, toute la lumière.
Il fallait connaître les noms des chéquards. Les connaître tous. Il suffisait pour cela d'arrêter le corrupteur : une fois pris, Arton parlerait.
A Dupas, fut confiée la délicate mission de rejoindre Arton.
Mais les espoirs mis en lui devaient être déçus. Arton demeura insaisissable.
On allait oublier, lorsqu'un jour parut une brochure signée Dupas : « Pourquoi l'on n'a pas arrêté Arton », où l'auteur révélait que des ordres supérieurs l'avaient empêché d'arrêter le corrupteur, et que sa seule mission avait été, en réalité, de négocier avec lui l'arrangement de l'affaire:
Brochure inadmissible, on en conviendra. (Il y avait alors dans la police de regrettables indisciplines.)
Celle-ci devait être réprimée : le Parquet poursuit Dupas...
La matière était belle. Elle comportait un séjour à Venise, que Dupas et Arton, amicalement, avaient fait ensemble entre violons, gondoles et pigeons, descendant à l'hôtel della Luna, visitant les monuments, les musées... et même les prisons, sans s'y attarder.
Et puis une course à travers l'Europe, course bien réglée, où, de capitale en capitale, Arton gardait sur Dupas, régulièrement, vingt-quatre heures d'avance.
D'un tel scénario, je laisse à penser le parti que tira l'avocat de Dupas.

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L'accusation sombra sous les rires. Non sans avoir, au passage, reçu quelques mauvaises flèches.
« Vous cherchez des receleurs, Monsieur le Substitut, s'écrie l'avocat. Prenez garde. Vous les avez peut-être trouvés. Un avis seulement : relevez le tir, croyez-moi. Car si vous manquez le but, c'est que vous visez trop bas. »
Ce fut l'acquittement pour Dupas, et la gloire pour son avocat.
Celui-ci n'aimait guère, au Palais, les spécialités : La vie allait désormais lui en imposer une : celle des belles affaires.
Il plaide pour les héritiers de Goncourt, pour Gyp contre M. Trarieux, pour Maria Daurignac dans l'affaire Humbert.
Les plus belles causes sont aussi souvent les plus courageuses.
La fin du xixe siècle voit, en France, l'éclosion de l'affaire Dreyfus, et, derrière le procès d'un homme, un mouvement qui dépasse l'accusé, qui fait craquer le cadre étroit du Conseil de guerre, qui transforme le pays en un immense prétoire et déchire les Français en les faisant tous juges. :' Le souriant et sceptique avocat de Gyp, l'homme de cœur qui a trouvé dans la défense des humbles — qu'ils s'appelassent Dupas ou Maria Daurignac — des accents de pure émotion, en regardant cette agitation un peu théâtrale, en la voyant soutenue par la presse étrangère d'une voix unanime, hésite à se livrer. Il s'interdit de prononcer une sentence dans un procès où tant d'éléments restent mystérieux, dans l'action judiciaire, dans l'affaire Dreyfus.
Que Dreyfus, s'il est innocent, soit rendu à la liberté, que les coupables soient châtiés. Rien de plus juste. Mais que le procès d'un homme ne devienne pas un prétexte : on peut sauver Dreyfus sans perdre la France ! Si c'est elle qu'il s'agit de défendre, il est de son côté.

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La rumeur grossit. "S'il a fallu du courage, quelques années plus tôt, pour défendre Dreyfus, comme à Rennes l'ont fait Démange et Labori, il en faudra bientôt pour défendre la Patrie française.
Ce sont Jules Lemaître, François Coppée, Vaugeois qu'en 1899 on traduit en correctionnelle. C'est Déroulède qui, escorté de ses amis, va comparaître en Haute-Cour.
J'ai relu les plaidoiries de mon père, avec une ombre d'inquiétude : je sais aujourd'hui combien quelques années ont tôt fait de détruire, et pis encore, de démoder ce que nous avons aimé. Les formes du langage changent comme celles des vêtements. N'allais-je pas rencontrer, dans ces échos d'une période où le panache se portait encore, des gestes trop larges pour notre époque, des accents trop hauts ?
Dès les premières pages, j'étais rassuré.
« Le cœur ne se porte plus », a écrit un de nos romanciers. Je n'en suis pas sûr. Ce qui ne se porte plus, c'est l'emphase, la draperie, tous ces vains ornements dont les marchands d'émotion prétendent l'étoffer et qui, par là même, rendent suspecte leur marchandise.
Le coeur se démode chez ceux qui le vendent : chez ceux qui le donnent, il est éternel.
N'allez pas croire que chez le défenseur de la Patrie Française le cœur aille tarir l'ironie sur les lèvres. C'est bien au contraire lui qui l'alimente.
Devant le Tribunal correctionnel, l'avocat de Vaugeois remercia les inculpés d'avoir secoué l'anathème que les «intellectuels » de l'affaire Dreyfus avaient jeté sur leurs adversaires.
Et il passa revue en la brillante phalange de ces penseurs «qui répétaient si haut et si souvent qu'eux seuls étaient clairvoyants, intellectuels et intelligents, qu'ils seraient arrivés à le persuader aux autres, et peut-être (qui sait?) à s'en convaincre eux-mêmes ».
De telles affaires et de telles plaidoiries, devaient

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conduire au bâtonnat. Elles y menèrent si vite que le nouveau bâtonnier manifesta, devant le vote de ses confrères, un moment de surprise... avant de leur donner une vie de reconnaissance :
« Vous ne m'avez pas laissé le temps d'être ambitieux », leur dit-il le jour de son élection.
Du moins eut-il celui de les mieux connaître. Il n'avait rien sacrifié pour les conquérir, pensant que, de la sincérité, rien ne doit être retranché. Beaucoup d'entre eux, pour l'élire, avaient écarté, de sang-froid, d'injustes préventions. Noble effort, dont le nouveau bâtonnier se rendit compte : s'il avait aimé jusque-là le Barreau, de ce jour, à coup sûr, il aima le Palais.
Parmi les premiers sourires que reçoit le nouveau bâtonnier, celui de la jeunesse est peut-être pour lui le plus attrayant. La Conférence va lui donner, avec de nouveaux compagnons, l'illusion de retrouver d'anciens camarades.
Deux promotions de secrétaires se succèdent auprès de lui à la Conférence. Le meilleur jour de la semaine, le plus gai, est celui qui le rapproche d'eux. Qu'elles passent vite, ces deux années ! Trop vite au gré des uns et de l'autre. Ils n'oublieront pas la table commune où ils ont travaillé. Il faut bien dire adieu au tapis vert de la Conférence, mais une nappe blanche le remplacera, autour de laquelle, tous les ans, se retrouveront le bâtonnier et ses secrétaires, singulièrement grandis, mais toujours rajeunis par cette heureuse rencontre.
Rajeunis. Car il y a dans le caractère du nouveau bâtonnier une étonnante jeunesse, qui l'a toujours accompagné et ne le quittera pas. Ce goût de la vie, cette belle humeur ne sont pas des privilèges qu'il réserve au Palais : tout le monde en profite dans la vie de chaque jour. Autour de lui, l'air est plus léger, la campagne est plus riante, les jeux sont plus gais.
Parce qu'il s'amuse, il amuse les autres, des plus jeunes aux plus âgés. Les dîners les plus solennels s'éclairent d'un

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sourire. On sait qu'en quelques mots, sans y toucher, il dégonfle les baudruches les plus respectables. Et les pontifes, vaguement inquiets, cessent de pontifier quand il est parmi les convives.
Au physique, même air de jeunesse. Front large, mâchoire solide, moustache rousse. Cheveux courts, légers, et coiffés en brosse. Taille petite, solide, allure vive d'un homme qui s'est adonné à tous les jeux, avant même que le progrès les eût assombris pour en faire des sports.
Une formule est devenue classique pour le décrire « : un officier de chasseur à pied. »
Mettons « à cheval », en souvenir de Lunéville. Et qu'on s'entende sur le cliché. Si l'on veut dire qu'il s'agit d'un chef, c'est un de ces grands chefs qu'on ne reconnaît pas à leurs galons, mais à leur regard. En subit-on l'autorité, c'est qu'on y devine la justice. Pas de vrai chef qui ne soit humain : s'il est maudit par les fripons, il sera béni par les misérables, étonnés de sa bonté profonde et de son indulgence.

 *
* *

A l'affection du Palais, les discours du bâtonnat vont bientôt répondre. Discours qui s'efforcent aussi d'être un enseignement : la meilleure sans doute des marques d'amitié.
Arrivé au sommet, l'avocat qui demandait jadis aux grands orateurs du XIXe siècle les secrets de leur art, s'arrête de nouveau pour les analyser. Il a maintenant beaucoup appris de ses adversaires, beaucoup appris de son travail propre.
C'est modestie de sa part que de chercher à diriger ses plus jeunes confrères. Un exemple vaut mieux qu'un conseil : il le leur apporte.
Rien de tel que d'entendre une de ces plaidoiries où s'affirment la solidité de la dialectique, l'élégance de la phrase, l'esprit, le caractère de l'homme.

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Sa dialectique. La plaidoirie s'ordonne ici comme une belle manœuvre. Aucun élément n'hésite sur la place à prendre. Pas de flottement, pas de contre ordres. Défensive, contre-attaque, diversion même, tout vient à point, sans rien de confus dans l'exécution. Et dans le tir, pas d'écart probable : tous les coups au but.
Il n'y a, semble-t-il, qu'une façon de plaider, celle-là. Et parce qu'elle aboutit en se jouant, elle procure parfois à ses auditeurs l'agréable illusion que demain ils en feront autant.
D'autres, moins indulgents, prétendent avoir vu l'effort :
« Très joli, très joli, disait un jour l'un d'eux, au sortir d'une audience. Mais c'est trop travaillé. »
Et son voisin de lui répondre :
« Eh bien, travaillez donc. »
L'élégance de la phrase.
Aux divers échelons de sa carrière, on retrouve chez lui ce souci de voir l'orateur concilier la chaleur et le style.
Mais comment, céder à ces vives impulsions qui, seules, émeuvent et soulèvent un auditoire, sans sacrifier la forme qui frappe et convainc?
A ses débuts, il se l'est demandé avec inquiétude. Mûri, il a pénétré les secrets de l'éloquence.
Il sait que tous ne peuvent prétendre à l'impétuosité de certains tribuns, à cette parole torrentueuse que la pensée, plus lente, n'arrive pas toujours à rejoindre. Mais il sait que chez les maîtres de la fougue, cette fougue même est disciplinée. Il écrira de Labori :
« Il ne préparait pas ses improvisations : il s'y préparaît. »
Sans travail, pas de résultat : seule vérité certaine.
Il y en a pourtant un autre, dont il lui était permis de ne pas parler : c'est qu'aux plus travailleurs, les dons n'ont jamais nui...
Parmi ceux-là, j'ai parlé de sa clarté. Elle avait un précieux allié : l'esprit.

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Dès qu'il prenait la parole, un préjugé favorable se devinait dans la salle, et chez les magistrats. Le greffier remettait à plus tard la copie de ses jugements. Nul appariteur ne venait entretenir le Président d'une affaire urgente —- plus urgente que celle qu'on venait de commencer. Le juge le plus détaché des choses du prétoire cessait de prendre des notes... du moins sur autre chose que la plaidoirie.
Tous savaient que le dossier le plus ingrat s'éclairerait d'un sourire, car au fond des dossiers, il y a toujours des hommes, dont il faut se hâter de rire...
Pourtant, dans l'ironie, rien de conventionnel. Ce n'est pas l'avocat qui la glisse dans le dossier : c'est elle qui en jaillit, qui s'impose à lui.
Don précieux, qui permet aux juges de suivre sans fatigue une démonstration, d'oublier qu'ils accomplissent un devoir, et de se trouver convaincus au moment où ils croient, seulement s'être divertis.
Des envieux ont calomnié l'esprit. Peut-être s'est-on mal entendu sur la chose : quoi de plus différent, sous le même vocable, que le bel esprit d'un Fontenelle, et le tendre humour d'un Galsworthy! Esprit, humour, ironie : quand ils sont au service de l'âme, quelle expression de la pensée ! Pudeur des sentiments qui craignent de se montrer à nu; cœurs qui veulent s'excuser de battre trop fort et se raillent eux-mêmes. Trop plein de l'émotion. A cet esprit-là, que les adversaires ne se méprennent pas. Qu'ils ne croient pas à un simple jeu; qu'ils sachent que l'homme, ici, est toujours d'accord avec sa robe.
Car c'est là le trait le plus marqué de mon père : le caractère.
Nous sommes nombreux encore qui, en juillet 1914, assistions à des débats d'assises qui soulevaient l'opinion du monde.
L'affaire Gaillaux.
Après l'ascension, après les grandes causes, après les

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honneurs, voici pour le bâtonnier Chenu l'occasion la plus prodigieuse de donner sa mesure, de démontrer que s'il y a deux barres, la civile et la criminelle, il lui suffit de rester lui-même pour les aborder avec une égale maîtrise.
L'affaire Caillaux. En quelques syllabes, quelle évocation! Si cette affaire n'avait dû, par elle-même, conquérir l'immortalité, le destin en la plaçant au plus dangereux carrefour de l'Histoire du monde, la sauvait à jamais de l'oubli.
Je ne veux pas, ici, en brosser le tableau. Qu'il me suffise d'évoquer au banc de la partie civile la douleur et les cris de révolte de l'avocat de Calmette devant des influences qui, venues du dehors, prétendaient courber les fronts dans la salle même des Assises.
La Politique dans le prétoire! Jusqu'alors, la formule était restée symbolique. Pour la première fois, le symbole prenait corps.
Sans doute avait-on vu déjà, dans d'étroits couloirs, sous une robe noire insuffisamment boutonnée, passer une écharpe de parlementaire. Mais la discrétion même de pareilles visites était encore, pour la justice, une manière d'hommage...
En juillet 1914, le pas fut franchi qui sépare l'ombre de la lumière.
La Politique était entrée, le front haut, à la Cour d'assises. Elle était là, debout, écartant les avocats d'une revers de main, toisant les juges, donnant des ordres.
Les adversaires de Calmette, comme ses partisans, connurent à maintes reprises des sursauts de révolte. Car ce n'était plus deux opinions qui s'entrechoquaient : c'était deux pouvoirs.
Et parfois, en voyant, devant la Cour, se dresser l'avocat de Calmette, on eût dit un pilote luttant désespérément contre la tempête où son navire allait s'engloutir, ce navire qui portait le Trésor du Palais de Justice.

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Ceux-là seuls qui ont vu comprendront son angoisse. La phrase qui l'a traduite appartient à l'histoire :
« Acte de Gouvernement (les interventions dans l'affaire Rochette) ! Ah ! si de telles doctrines pouvaient avoir cours, si cela devait être la règle au lieu d'avoir été la monstrueuse exception, ah! je le dis bien haut devant ceux qui m'entourent, devant tous ceux qui portent ou robe rouge ou robe noire, ni par les uns ni par les autres, Messieurs, nos robes ne mériteraient plus d'être portées! Qu'on les déchire, et qu'on apporte des livrées, — malgré la crainte que je puis avoir de ne pas en trouver à ma taille ! »
Cri magnifique d'orgueil et d'indépendance, sur lequel une époque est morte en beauté !
L'histoire recueille les paroles, mais ne va pas au delà. Elle est injuste et incomplète. Car il y a des silences aussi grands que les paroles. Ce procès n'avait pas que la France pour témoin : il se déroulait aussi sous l'oeil de l'Allemagne, qui en surveillait étroitement les péripéties, y guettant le prétexte qui, seul, manquait encore à sa préparation.
Ceux qui entouraient l'avocat des enfants de Calmette l'ont vu, par instants, pâlir, au risque de paraître ému de ce qu'il allait dire : il l'était seulement de ce qu'il fallait taire.
Des clameurs d'enthousiasme ont souligné l'éclat des mots. On n'applaudit pas le silence. Il est permis de la saluer.
On connaît l'issue de l'affaire; elle fut un triomphe pour l'avocat vaincu. Mais il n'eut pas, pour le savourer, un instant de loisir. Alors que ses proches, absorbés par le spectacle de la Cour d'assises, avaient oublié l'inquiétante Allemagne, son premier mot, après le verdict, fut pour leur en parler. Je le revois, d'un geste, rejeter lui-même dans le passé, au sortir du Palais, les plus grandes heures de sa carrière, ces heures toutes chaudes encore, pour regarder l'avenir. Paris apprenait à peine la fin du procès, et les premières clameurs gagnaient seulement la ville. Son nom

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volait sur toutes les lèvres. A ses yeux cependant, l'heure n'était déjà plus de s'attarder à l'éloge d'un homme : c'était au pays qu'il fallait songer.
Quelques jours après, il voyait sans défaillance ceux qu'il aimait partir pour le drame.
Que n'était-il d'âge à partir aussi?
Période affreuse, parce qu'il allait connaître l'impuissante émotion de ceux qui, ayant donné les leurs au pays, ne pouvaient qu'attendre passivement des nouvelles. Période douloureuse, parce que cette énergie et cette intelligence dont il venait de donner la mesure, la France n'avait pas prévu qu'on put l'utiliser.
A un puissant ami, il demanda que lui fut donnée, dans le plus modeste emploi, une occasion de servir. Vainement.
Pardonnons au puissant ami qui n'osait pas lui proposer un rôle indigne de lui, et ne pouvait pas lui en confier un autre.
Alors lui parvinrent des lettres du front, de ce front que l'arrière connaissait assez mal.
Il prit la plume pour les traduire, et les journaux lui ouvrirent leurs colonnes. De ses articles, un recueil subsiste : « De l'Arrière à l'Avant. » Document où se retrouvent son horreur de l'emphase, son émouvante simplicité.
Puis la guerre, en se prolongeant, cessa d'être un état précaire : l'Europe s'y installait. Le devoir, à l'arrière, était de rendre au pays son activité. Il reprit, avec ses dossiers, le chemin du Palais.
Les combattants, les jeunes, n'ont compris que plus tard que leur part n'était pas toujours la plus atroce. Prisonniers de leurs angoisses propres, ils songeaient moins à celles des leurs, qu'aucune action, qu'aucun péril personnel n'absorbait, et qui, lentement, s'usaient au supplice des bras croisés.
Les lettres que mon père, adressait au front ne reflétaient rien, volontairement, du drame intérieur. Belles,

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par cela même. Grandes parce qu'elles savaient éviter les grands mots. Une fois de plus, ce n'était pas des paroles, c'était une pensée qui nous parvenait, noble toujours. Sous le manteau du Spartiate, cependant, lentement, la bête rongeait le coeur.
En 1918, que de jeunes amis tombés, que d'autres au danger ! Et par delà les deuils, celui du pays. Il semblait que cette fois la mesure fut comble, la France épuisée, sa perte fatale.
Et soudain, le fléau de la balance oscille. Juillet 1918! Aurore ! C'était la France qui allait vaincre.
Au lendemain d'une offensive victorieuse, permissionnaire, j'arrivai à Paris. Mais une lettre m'était parvenue :
« Ton père a eu une violente crise d'estomac. Tu le trouveras changé. »
Changé? Non. Il fallait être prévenu pour s'en apercevoir. Un peu moins jeune, peut-être, mais il avait une telle avance sur la vieillesse que celle-ci était loin de le rejoindre encore.
Avec la paix, son cabinet retrouva aussitôt clients et activité : de gros dossiers plaidés avec le même éclat.
Des amis avaient voulu, en 1918, l'accueillir à l'Académie. Mais leur candidat était détestable.
Gâté par le Palais qui était venu au devant de lui, il se résignait, mal aux visites officielles.
La Paix, en poussant un grand vainqueur vers le fauteuil qu'on lui préparait, le délivra de cet embarras : Il s'empressa de retirer sa candidature. Pour ne plus la poser.
Les années passèrent. Un jour, au Palais, il fut témoin d'une scène poignante : un grand confrère, son adversaire, perdant le fil de sa plaidoirie, frappé d'amnésie sur son dossier même, et sa figure en larmes tombant dans ses mains. Il avait vu finir un grand avocat.
Il ne fallait pas que lui survint pareille aventure. Il se surveilla. Puis, un jour, sans que rien eut trahi au dehors
CONÏÉE. DES AVOCATS. — 1936 8

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la moindre défaillance, sans pitié pour lui-même, il décida de s'arrêter.
Dure sagesse, qu'il s'interdit dès lors de regretter jamais.
Au Conseil de l'Ordre, il n'en faisait pas moins l'étonnement et la joie de ses confrères par ce coup d'oeil qui lui permettait de saisir, au vif, le noeud de toutes les questions, et de les résumer en formules lapidaires pleines de cette ironie qui lui restait propre. Mais cela même, un jour, devint une fatigue trop grande. Il fallait se résigner. Il n'y avait plus qu'à attendre...
Attendre. Le mot qui consolait jadis son impatience, lorsque c'était la vie qu'il s'agissait d'attendre.
Cette attente, il l'observa avec une sérénité qui fit l'admiration de tous. Car nombreux étaient ceux qui, au retour du Palais, venaient lui rendre visite : ils savaient qu'il ne s'agissait pas de remplir, auprès d'un vieillard chagrin, un devoir morose. Leur ancien bâtonnier devait garder jusqu'au dernier jour la coquetterie de ne représenter pour personne une obligation.
Une visite qu'on lui faisait, c'était une escale au cours d'une journée de travail. Sur les événements du dehors, il portait un jugement souriant, caustique, qui détendait les nerfs, mettait les choses au point. Ses interlocuteurs sortaient surpris, charmés de l'intérêt qu'il leur avait témoigné, qu'il gardait pour sa profession, étonnés de cette verve qui ne tarissait pas.
Un jour, il fit une mauvaise chute, dont l'évolution était trop facile à diagnostiquer.
On voulut le rassurer. Il sourit :
« Je n'ai rien à regretter. Si ma vie était à refaire, je ne la referais jamais aussi bien. »
C'était là sa pensée vraie, souvent exprimée.
L'existence lui avait été indulgente : il le savait. Il avait la sagesse d'en convenir au plus profond de lui-même, sans un regret.
La délivrance, depuis deux ans, il la souhaitait sans un

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mot de révolte : l'esprit trop vif ne s'accommodait plus de vivre dans un corps trop las.
Après sa mort, nous avons trouvé, groupés dans un petit dossier, quelques papiers, des lettres, des coupures, qui, se rattachant à sa carrière, aidaient à la jalonner.
Sur la couverture, il avait écrit : Ma gloire. Et d'un crayon sceptique, il avait ajouté un point d'interrogation.
C'est à ce point d'interrogation que je me suis aujourd'hui efforcé de répondre.

samedi 21 mars 2020

1859 affaire Chenu Dié pour Cail

On connaissait Leroux-Dufié qui ne s'en laissait pas compter.
voici Chenu (Chenu père, fils du futur batonnier de Paris, collègue de Leroux-Dufié chez Cail)

Issu du journal des débats du 8 décembre1859



- Le sieur Dié, marchand de papiers, rue du Cherche-Midi, 110, est traduit devant le tribunal correctionnel (7e chambre), pour tromperie sur la quantité de la marchandise vendue.
  MM. Cail et Cie, quai de Billy, 48, se portent partie civile, et demandent une somme de 881 fr. à titre de restitution.
  Voici les faits tels qu'ils sont relevés par la prévention sur la plainte formée par MM. Cail et Cie.
  Depuis deux ans environ, la maison Cail et Ce se fournissait chez M. Dié de divers articles de bureaux, de papiers et notament de papiers diaptiques propres à calquer. D'après l'usage et même d'après le prospectus de M. Dié, chaque rouleau de ce papier devait contenir 20 mètres de longueur sur 1 mètre 15 centimètres de largeur. C'est ainsi que huit cents rouleaux furent livrés à la maison Cail qui n'avait eu l'idée d'en vérifier le métrage; il fallu qu'un jour M. Tardif, marchand de papiers, vint mettre la maison Cail sur la voie d'une fraude commise à son préjudice; il expliqua que lui-même s'étant fourni pendant quatre ou cinq mois de ces papiers chez M. Dié, il avait trouvé sur chaque rouleau un déficit de 4 ou 5 mètres.
  M. Chenu, chef de bureau de l'administration de la maison Cail, résolut de prendre le fournisseur en flagrant délit, et dans ce dessein, dans le courant du mois de juin, il fit à M. Dié la commande habituelle de cent rouleaux. Quelques jours après, Mme Dié vint elle-même livre un à-compte de vingt rouleaux, et la vérification en fut faite en sa présence. Le déficit était toujours de 4 à 5 mètres; les rouleaux livrés antérieurement furent aussi mesurés le même jour et donnèrent le même résultat.  Mme Dié soutint d'abord que c'était elle-même qui avait mesuré les rouleaux avant de les livrer; puis enfin elle attribua ce déficit à une erreur commise par un de ses employés et offrit de payer le déficit.
  M. Dié vint lui-même au bout de quelques jours, et prétendit que les papiers livrés lui ayant été refusés et rendus pour être recuits, la nouvelle cuisson avait produit un resserrement qui explicait le déficit. On lui objecta que les papiers, par l'effet de cette cuisson, se seraient retirés en largeur comme en longueur, ce qui n'existait pas. M. Dié se refusa à toute nouvelle explication et assigna M. Cail devant le tribunal de commerce; celui-ci répondit par une plainte en tromperie sur la quantité de la marchandise.
  Le commissaire de police fit vérifier quatre-vingts rouleaux qui n'avaient pas été recuits, et qui tous présentaient néanmoins un déficit de 4 à 5 mètres. Enfin, pour l'instruction, M. Dié prétendit que, selon l'usage du commerce de papeterie, il n'avait pas vendu ses papiers à la mesure, mais bien au rouleau et en bloc.
  M. Dié ne s'est pas présenté à l'audience; il a écrit au président qu'il était malade et hors d'état de se présenter devant la justice. Défaut a été donné contre lui.
  Plusieurs marchands de papier sont entendus, et il résulte de leurs déclarations qu'il est d'usage de livrer ces papiers par rouleaux de 10, 20, 30 ou 40 mètres.
  M. l'avocat impérial David soutient la prévention, et Me Thureau plaide pour la partie civile.
  Le tribunal, présidé par M. Bonnefoy des Aunais, a condamné par défaut le sieur Dié à trois mois d'emprisonnentent, 50 fr. d'amende, à payer à la partie civile la somme de 481 fr. à titre de restitution, et a fixé à une année la durée de la contrainte par coprs.   (Le Droit.)