lundi 14 janvier 2019

Impôt sur le revenu

Mais que vient faire sur ce blog un post sur l’impôt sur le revenu ? Transgression passagère liée à l'actualité ou généalogie d’un impôt ?

Ayant visité l’historial de la grande guerre à Péronne, le guide local évoquait ce à quoi s’intéressait l’opinion publique en 1914 : l’affaire Caillaux. Cela me rappelait qu’un cousin (descendance Tillier, branche Rodier) en avait été un des acteurs. Madame Cailloux avait tiré sur Monsieur Calmette. Mes souvenirs sur cette affaire étaient confus, n’ayant que consulté l’article de wikipedia sur le sujet, il y a bien longtemps.

Je partis en quête d’information et ce n’est que quatre mois plus tard que j’ai trouvé ce livre sur leboncoin début janvier. Un jour de chance car ce livre se fait bien rare (pas encore numérisé sur gallica.fr), tout aussi rare que « Totoche prisonnier de guerre – journal d’un chien à bord d’un tank » (1918) du même auteur (le fils).

Pour mémoire le livre « de l’avant à l’arrière » (1916) de Charles CHENU est quant à lui disponible sur gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6481533s.texteImage

 

LE PROCES DE MADAME CAILLAUX de Charles Maurice CHENU (1960)

Chapitre V

L'impôt sur le revenu

L'impôt sur le revenu. Formule qui déchaîna, avant 1914, tant de passions en France.

Le XIXe siècle avait été le triomphe de la République et, plus certainemenencore, celui de la bourgeoisie. Echelon par échelon, elle gravissait les hauteurs qu'avait occupées l'aristocratie.

Consolidée, forte d'un patrimoine bien géré, elle tendait à croire à son tour que le régime auquel 1a France était parvenue était l'ordre définitif. Quiconque y souhaitait une modification était considéré comme révolutionnaire. On avait enfin trouvé l'équilibre : il fallait s'y tenir, et ne toucher à rien.

Une incroyable impression de sécurité dominait l’époque.

Tout bouleversement étaisi évidemment contraire aux lois naturelles qu'il ne pouvait se produire, ou ne pouvait excéder les limites d'un incident momentané.

On pouvait ainsi placer en hypothèques à longues échéances, consentir des baux emphytéotiques, décider que les arrière-petits-fils entreraient à Polytechnique, que 50 000 livres de rentes en feraient 75 vingt ans plus tard. L'avenir se résolvait par règles de trois.

Dès lors, il ne pouvait être question de toucher au système fiscal. Malheur à qui le tenterait.

Mais pour un ambitieux intelligent, qui sait, par le suffrage universel, que les journaux bourgeois ne sont pas toute l'opinion, quderrière eux et malgré eux, il y a chez les électeurs un mouvement lent et profond, quel beau rôle à jouer !

Rôle sans risques. Les freins sont bons. La « réaction », ouverte sur les bancs de la droite, ou camouflée sur les bancs de la gauche, ne laissera passer que le minimum de réformes et ne permettra pas que soit compromis le patrimoine même des réformateurs.

Elle aura un rôle ingrat; elle seule assumera l'impopularité. Pour le réformateur, en dépit de son impuissance, epeut-être à cause de cette impuissance même, que de beaux gestes, de discours magnifiques!

Combien ne sont moteurs que parce qu’ils savent la force des freins qui les arrêteront!

La formule seule, « l'impôt sur le revenu", avait suffi à dresser contre elle toute la bourgeoisie. Depuis longtemps, elle traînait dans les cartons des commissions, attendant pour sortir le grand financier qui joindrait l'audace à la compétence.

A cette formule, aujourd’hui, le nom de Joseph Caillaux reste seul attaché. Inévitable simplification du souvenir. Mais d’autres se sont employés à sa victoire : et c'est Viviani qui, en définitive, l’a fait voter. Il serait donc excessif, pour l’en louer ou l’en blâmer d’en attribuer à Joseph Caillaux la seule responsabilité. Une réforme est-elle jamais l'œuvre d'un seul homme ? Si celui-là n'avait réalisé cette réforme, un autre, un peu plus tard ou le même jour peut-être l'eût fait aboutir.

Que valait cette réforme, si révolutionnaire?

Le temps a passé. Nous avons accepté la révolution. De mauvaise grâce, évidemment. a-t-il un impôt que nous acceptions de bonne grâce ?

Et si celui-là ne représente pas toujours « la justice fiscale »,peut-être représente-t-il moind'injustice que les précédents. N'edemandons pas trop.

Mais à l'époque, au temps de sa conception, quelles craintes il provoquait, et quelle levée de boucliers!

« L'impôt sur le revenu ? disait Poincaré : ou vous nl'appliquerez pas, et ce sera une duperie. Ou vous l'appliquerez, et ce sera l'inquisition.»

Le temps a montré qu'il n'y avait pas là un dilemme, comme l'avait cru Poincaré, mais un cumul. Et que 1e même impôt pouvait, selon les cas, aboutir aussi bien à la duperie qu'à l'inquisition.

Les contribuables l’avaient pressenti, malgré les formules prudentes dont s’étaient enveloppés à leur naissance les divers projets de « justice fiscale ».

D’où l’hostilité de tous, des petits et des grands, devant l'idée dont, au Parlement, Joseph Caillaux allait se faire l'apôtre.

Et puis, la France n'avait pas oublié le «système des fiches», enfanté par l'affaire Dreyfus, et qui livrait les personnes aux caprices de la délation, aux haines de la politique. Il semblait impossible de soustraire le contrôleur à de tels courants.

Ces défiances et ces colères, d'année en année, s'accumuleront contre l'homme qui a résolu d'attacher son nom à la réforme. Elles tenteront d'atteindre le ministre, si elles n'ont pas la force de triompher directement de l'institution. Faire tomber l'un, croira-t-on, c'est faire tomber l'autre.

On cherche les défauts de la cuirasse. Joseph Caillaux, ce grand bourgeois, ce gros possédant, peut-il désirer sincèrement livrer sa fortune à l'examen du contrôleur? N'est-ce pas une simple attitude, un geste de démagogue avide de renommée? C'est cela qu'il faudrait prouver, la mauvaise foi de l'homme, cela qu'il faudrait pouvoir jeter à l’opinion. Mais comment la convaincre? Or, un jour, une lettre a été apportée à Gaston Calmette, une lettre de Joseph Caillaux lui-même, qui va fournir l'argument cherché...

Flèche que Calmette glisse dans son carquois, où deux autres l'attendent déjà : la flèche d'Agadir et la flèche Rochette.

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