jeudi 9 janvier 2020

Paris, Paris, ... juin 1848

horreurs

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6152725p/f54.item.r=%22clos%20saint-lazare%22

page 40
Dans le clos Saint-Lazare, un officier d'infanterie fait prisonnier par les insurgés, avait eu les deux poignets coupés; il était mort lentement par terre de ces affreuses mutilations. On avait aussi tranché les pieds d'un dragon et on l'avait placé mourant sur son cheval!


L'Opinion publique ajoutait encore, en parlant des insurgés du Panthéon : "Ils ont fait poser la tète des quatre officiers prisonniers sur un billot, et un homme déguisé en femme la leur a coupée avec une hache. Ils ont porté ces têtes au haut de la balustrade et les ont jetées, avec les épaulettes, dans la place. Dix-huit gardes mobiles faits prisonniers ont été enduits d'essence, et ces atroces cannibales voulaient y mettre le feu. Les femmes leur ont évité un supplice si féroce."



Duffié participa à l'assaut contre le clos Saint-Lazare.
Alphonse Tillier, alors âgé de 22 ans, blanchisseur fut inculpé pour insurrection puis libéré (site à consulter). Il s'agit d'Alphonse Tillier, cousin de Jean Baptiste Leroux-Dufié.
Combien d'autres ancêtres parisiens, parents ou relations, ont pris part aux événements de 1848?


Le texte ci-dessous de Gustave Geffroy est reproduit suite à sa lecture sur le site persee.fr :



LES JOURNÉES DE JUIN 1848
Les premiers tressaillements de la convulsion furent perceptibles aussitôt après la journée incertaine du 15 mai. Le 16, le club des Montagnards de Belleville commence à fondre des balles. Le 25, il y a grève des chapeliers, des boulangers, des tisseurs. Le 29, il y a une bagarre au clos Saint-Lazare. Les journaux montent leur ton à l'injure, dépravent leur polémique en calomnies. Les menaces des clubs répondent aux violences de la tribune parlementaire. Un banquet des pauvres est projeté, le Banquet à vingt-cinq centimes : du pain, du fromage et du vin, bus et mangés plaine Saint Denis. Il n'eut pas lieu, fixé d'abord au il juin, puis au 18 juin, puis au 14 juillet, mais les réunions qui le préparent, la souscription ouverte, les adhésions qui sont, au 8 juin, de 165.532, achèvent de surexciter l'opinion. La banlieue et la province, autour de Paris, manifestent leur impatience et leur enragement contre la capitale. Tout le monde attend les coups de fusils.
Ils vinrent, nombreux et effroyables. La vraie cause, le licenciement des Ateliers nationaux qui s'annonçait à travers les phrases perplexes des hommes d'Etat, qui se clamait par les voix démuselées de la haine, fait soulever les pavés et saisir les armes. Cent treize mille hommes sont à la veille de voir cesser l'apparence de travail dont ils vivent, la paye menue, strictement comptée, mais régulière, qui leur est allouée, et qu'ils peuvent rapporter au logis. Après cette halte faite dans la misère, cette habitude de croire au lendemain qu'ils viennent de prendre pendant deux mois, la vie de chômage et de hasard qu'ils ont en perspective leur apparaît lourde. Ils n'ont connu qu'un instant d'espoir, et ils vont le payer de leur vie.
La solution pacifique aurait été de patienter, de dissoudre lentement les Ateliers, de faire rentrer peu à peu cette armée menaçante dans le courant ordinaire de la vie. On crut un moment pouvoir tout résoudre ainsi. Mais les partis hostiles au socialisme et à la République ne l'entendirent pas de cette façon. Le ministre des Travaux publics, M. Trélat, et la Commission qu'il avait constituée, trouvèrent devant eux une sous-commission animée de l'esprit de M. de Falloux, qui empêcha toute mesure conciliatrice d'aboutir. A Paris et dans la banlieue, les mécontents commencent alors à s'attrouper, les chants colères à retentir, les pierres à être lancées sur les portes. Le 19 juin, on annonce la dissolution des Ateliers nationaux comme imminente, la foule se masse autour de l'Hôtel de ville. Le 21 juin, en effet, le Moniteur annonce que le lendemain, les ouvriers de dix-sept à vingt-cinq ans seront enrôlés dans l'armée ou dirigés sur la Sologne et autres départements. Ce fut ce dernier expédient qui exaspéra le plus les ouvriers parisiens. Tous ces hommes habitués au fin travail des doigts, devant un établi et un étau, se refusèrent à l'idée d'aller remuer des terres et tracer des routes dans un pays de marécages. Un des cris de l'insurrection fut: «On n'part pas! On n'part pas ! » Au soir où la solution décidée par la Commission exécutive est connue, la bataille désespérée est acceptée dans l'esprit de la masse ouvrière, et ceux qui affluent place de l'Hôtel-de-Ville se donnent rendez-vous pour le lendemain matin au Panthéon. Ce matin-là fut le matin du 22, la veille de la première des journées de Juin.
Des bandes au-dessus desquelles flottent des bannières passent en jetant la clameur de la Marseillaise et du Chant du Départ , s'arrêtent de chanter pour scander : On n'part pas! D'autres commencent à jeter au vent l'annonce fatidique d'un César: Napoléon ! nous l'aurons ! Deux cents hommes parcourent la rue Saint-Honoré ; cinq cents, le faubourg Saint-Antoine ; deux cents, les rues Saint-Victor et Saint-Jacques ; quinze cents vont vers le Luxembourg où siège la Commission exécutive, cinq délégués reçus par M. Marie sortent irrités de l'accueil qui leur est fait, et tous s'en retournent aux cris : Du pain! du travail ! ou du plomb ! Rien ne se passe au Panthéon ce matin-là, malgré le rendez-vous pris: on voit un seul homme au belvédère agitant un mouchoir au dessus de Paris. Il est arrêté par les gardes mobiles. Mais à 5 heures, sept cents hommes débouchent sur la place. A 7 heures, cinq mille hommes grouillent. A 10 heures, c'est la cohue innombrable, l'arrivée de dix mille hommes venus du faubourg Saint-Antoine, illuminant leur passage de la flamme des torches, épouvantant le Paris boutiquier de leur marche et de leurs cris. Un immense : Vive la République! salue leur entrée au carrefour. On se sépare en pleine nuit après avoir fait le serment de se battre et de mourir : les assises insurrectionnelles ont décidé les barricades pour le lendemain.
C'est à ce moment que le général Cavaignac entre définitivement en scène. Mais il y entre muet, fermé, masqué, avec l'attitude d'expectative de l'homme qui attend l'injonction du sort et le profit des événements. Ministre de la Guerre, il avait déjà refusé, comme ses collègues du ministère, de prendre l'engagement de se retirer avec la Commission exécutive, en cas d'une retraite collective. Sur deux tentatives qui furent essayées sur lui par la faction du Palais National, à savoir s'il accepterait les offres de pouvoir qui pourraient lui être faites, il répondit, une première fois, le 20 juin, qu'il ne repousserait pas ces offres, et une seconde fois, le 22 juin, qu'il recevrait le pouvoir. Les meneurs marchèrent sur cette indication. Leur première démarche auprès de la Commission exécutive obtint le commandement de toute la force armée pour le général.
Il se servit tout d'abord dece commandement pour rester passif. Il n'exécuta pas l'ordre de la Commission d'occuper la place du Panthéon, le 23, à 5 heures du matin. Il allégua plus tard une sorte de confusion, d'ailleurs possible, dans les instructions données. La foule se rassembla donc, et dès la matinée, les barricades commençaient à barrer les rues, de la porte Saint-Denis à l'Hôtel de ville. Au Conseil gouvernemental qui eut lieu, on pressa le général Cavaignac de prendre immédiatement les mesures préventives, de répandre ses troupes dans les quartiers agités, d'empêcher, rue par rue, la formation des barricades. On espérait encore tout arrêter, arriver à une conciliation. Ces mesures préventives pouvaient être prises à l'aide des quarante-trois mille hommes de troupes qui occupaient Paris et la banlieue: vingt-cinq mille soldats réguliers, quinze mille gardes mobiles, et à peu près trois mille gardes républicains. On pouvait, en tout cas, amoindrir, raccourcir singulièrement la bataille.
Le général se refusa à ce plan, affirma la nécessité d'attendre que le mouvement se fût étendu, et sa volonté de garder ses soldats, l'arme au pied, dans les Champs-Élysées, place de la Concorde, autour de l'Assemblée, jusqu'au moment favorable pour livrer bataille : les troupes concentrées à l'écart, l'insurrection laissée d'abord libre, puis écrasée. C'était abandonner une moitié de Paris à l'insurrection, permettre à celle-ci de grandir, de se fortifier, de devenir la formidable chose qu'elle allait être.
Le premier engagement eut lieu à l'entrée de la rue Saint-Denis : les insurgés d'une barricade et les gardes nationaux se fusillèrent. Neuf gardes nationaux furent tués. Ceux qui vinrent ensuite eurent douze tués, mais prirent la barricade et passèrent par les armes tous ceux qu'ils y trouvèrent, les femmes comme les hommes. Ce fut le commencement de la tragédie.
Sur la rive gauche, les barricades descendaient du Panthéon au pont Saint-Michel.
Le soir, les rôles distribués étaient tenus ; Paris divisé en régions de combat, des postes assignés aux généraux : au général Foucher, l'Assemblée nationale; au général Damesme, le Luxembourg et la rive gauche; au général Bedeau, l'Hôtel de ville; au général Grouchy, Montmartre ; au général Lamoricière, la ligne des boulevards, de la Madeleine au Château-d'Eau, et les faubourgs jusqu'aux barrières. Tous pourvus de troupes en quantité insuffisante.
A l'Assemblée, on ajournait le vote d'un crédit de six millions, demandé parle ministre des Travaux publics pour la construction du chemin de fer de Lyon à Chalon, M. de Falloux lisait le rapport de la Commission des Ateliers nationaux, concluant à la dis¬ solution dans trois jours, et 'au vote de trois millions de secours à domicile : à partager entre plus de cent mille hommes, soit à peu près vingt-cinq francs par tête. Lorsque cette solution fut connue dans le Paris insurgé, le désastre s'aggrava, les esprits chavirèrent définitivement dans la colère et le désespoir, le général Cavaignac restait impassible au milieu des objurgations, des. demandes de troupes. Il répondait que son plan s'exécutait et qu'il attendait des renforts. Ce jour-là, si la garde nationale, — qui fut d'ailleurs divisée, pendant tout le temps que dura la bataille, selon les quartiers et les classes, — si la garde nationale bourgeoise, un moment incertaine, n'avait pas marché sur les barricades, l'insurrection aurait pu devenir maîtresse de la ville. Dans cette journée du 23, la situation du corps d'armée du Château-d'Eau apparut au chef Lamoricière tellement précaire que Cavaignac, cette fois, n'hésita pas sur l'avis pressant qui lui arriva : non seulement il envoya du renfort, mais il partit lui-même, sous le fracas d'un orage de juin, à la tête de la colonne de sept bataillons, accompagné des représentants Lamartine, Jules Favre, du Ludre, Duclerc, Pierre Bonaparte, de Heeckeren, Prudhomme, Landrin, Tréveneuc. Il était 3 heures, il partait pour une demi-heure, il ne revint qu'à 10 heures du soir. Il trouva un faubourg du Temple formidable, fortifié de hautes barricades, contre les¬ quelles se brisèrent les gardes mobiles d'abord, et successivement les sept bataillons de troupes. Le canon même n'entama pas cette forteresse de pavés. Il fallut des bataillons nouveaux pour en finir et passer outre. Partout, rive gauche comme rive droite, on se battit jusqu'à la nuit. Lorsque l'ombre fut sur la ville, on s'arrêta pour respirer, pour panser les blessés, pour emporter les morts, pour remettre des pavés sur des pavés et refondre des balles. A l'Assemblée, séance de nuit, énervement, vaines paroles, travaux d'approche, coulisses parlementaires où la comédie politique devient sinistre par le fait de la tragédie du dehors.
Le lendemain 24, tout le Paris de l'Est et du Centre, le Paris de 4a pauvreté et du travail, depuis la Bastille et les Gobelins jus¬ qu'aux Halles et au Louvre, était bouleversé par la levée de pavés et l'entassement des voitures, des matériaux de tous genres, des madriers aux matelas, de tout ce qui peut créer la solidité de la construction, de tout ce qui peut servir à ouater la carcasse de la barricade, à amortir l'arrivée des boulets, à couper le sillage des balles. On comptait plus de quatre cents de ces barricades. Quatre cent quatorze, dit Hippolyte Castille, témoin oculaire, qui observa leur hauteur, dépassant parfois un premier étage, et leur savant agencement : angles, créneaux, fossés en contre-bas. Paris, barré dans sa largeur, toutes les rues populeuses de ses faubourgs conduisant de la circonférence des barrières à un centre qui était l'Hôtel de ville, se doublait ainsi d'une seconde ville, campement de pierre improvisé qui semblait un produit du sol, un bouillonnement pétrifié de la rue. Barrière des Martyrs, place Lafayette, clos Saint-Lazare, faubourg Saint Denis, faubourg Saint-Martin, rues Grange-aux-Belles, Courtille, faubourg du Temple, rues d'Angoulême, de Ménilmontant, du Chemin-Vert, des Amandiers, Popincourt, le faubourg Saint-Antoine, le Marais, le Temple, la Cité, le faubourg Saint-Jacques, rue Moufetard, Montagne Sainte
Geneviève, barrière des Gobelins ..... tels étaient les principales
voies et les principaux carrefours où s'amoncelaient les pavés et où claquaient les drapeaux de l'insurrection. Mais ce ne sont que les points de repère pour mesurer l'étendue d'un tel champ de bataille. Les rues, les passages qui reliaient entre elles les avenues principales de cette cité farouche, étaient en état de défense. L'obstruction complète : partout le tas de pierres, et partout l'insurgé qui veille.
Dès le matin du 24, dès l'aurore, la bataille recommence. C'est au bruit lointain des coups de feu que l'Assemblée proclame la déchéance de la Commission exécutive, met Paris en état de siège, concentre tous les pouvoirs entre les mains du général Cavaignac. Le chef militaire qui avait jusque là laissé l'insurrection s'étendre et qui parlait même de l'attirer hors Paris pour l'écraser en une bataille rangée, se réveille alors subitement de sa torpeur. Il supprime onze journaux qui auraient pu donner des comptes rendus véridiques du massacre, appelle des troupes nouvelles, invite à agir la garde nationale de province. Les proclamations diverses excitent les partisans de l'ordre établi, reprochent aux ouvriers de ne pas croire à la bonne volonté de l'Assemblée qui a adopté les conclusions de M. de Falloux, promet aux révoltés de les traiter en frères égarés auxquels la Patrie ouvrira les bras.
Les faits furent peu d'accord, comme il arrive d'habitude, avec la phraséologie. La bataille tourna en boucherie, la victoire en représailles. Sous l'influence de récits où s'égalaient l'affolement et le calcul, une atmosphère putride d'abattoir et de charnier humecta la ville, fit pourrir les consciences et se dépraver les instincts. On parlait de têtes coupées, alignées aux frontons de pavés des barricades, de balles mâchées et trempées dans le poison, équivalentes aux flèches des Caraïbes, de boissons empoisonnées versées aux gardes mobiles par des Furies perfides, de prisonniers enduits de poix et de résine, allumée comme des torches, sciés entre deux planches, de crânes employés comme lampions. La fureur montait à l'audition et à la lecture de telles horreurs, se propageait comme un incendie, envahissait la ville.
Des horreurs, on n'en avait pas encore vu, mais on allait en voir.
Le 25, un dimanche, jour de la Fête-Dieu, l'Assemblée vote les trois millions de secours extraordinaires aux indigents, les fameux trois millions pour une population de cent mille individus sans travail, les vingt-cinq francs par tête ! C'était tout ! Aucun avenir de travail, aucune possibilité d'assurer l'existence des vieux, des femmes, des enfants. L'annonce de cette fantaisie philanthropique se perdit dans le fracas de la bataille recommencée.
Ce jour-là fut le jour des exécutions sommaires, des prisonniers passés par les armes sans examen, sans juges, sans code. Ce fut le jour du meurtre du général Bréa qui avait franchi la barrière de Fontainebleau, à peine accompagné, se croyant suffisamment protégé par ses paroles de paix et son allure cordiale. Ce fut le jour de la mort de l'archevêque Affre, frappé d'une balle dans les reins au moment où il s'avançait, croyant à une accalmie, entre les soldats de la troupe et de la mobile massés à la Bastille et les insurgés retranchés dans le faubourg : un malentendu fit recommencer le feu, et c'est probablement la balle d'un soldat, non d'un insurgé, qui frappa le médiateur.
Au soir, l'insurrection était circonscrite au quartier du faubourg du Temple et au quartier Saint-Antoine, les barricades partout ailleurs tombées sous le canon après la résistance du désespoir.
•Le lundi 26, dans la matinée, tout était fini, le faubourg du Temple était pris, les soixante barricades du faubourg Saint-Antoine étaient prises. Le reste de la journée fut employé à fusiller les prisonniers.
On sait les endroits et les chiffres. La dénonciation fit rage, et ceux qui ne s'étaient pas battus se montrèrent les plus acharnés à la tuerie. Les prisonniers du sous-sol de l'Hôtel de ville, du caveau des Tuileries, furent tirés par les soupiraux, noyés dans le cloaque humide où ils étaient jetés, asphyxiés par l'odeur des excréments et des cadavres. Il en fut encore ainsi le 27, pendant la journée et pendant la nuit. La peine de mort en matière politique était rétablie. La statistique modérée de la répression compte douze mille morts, vingt-cinq mille arrestations.
La vieille médecine sociale, qui tire du sang aux peuples trop forts, enivrés de vie, désireux d'action, triomphait une fois de plus. Le malade anémié allait connaître la torpeur des longues convalescences, jusqu'à la suivante et fatale congestion. Le général qui avait été le praticien de l'opération, Cavaignac, morose et hanté, restait provisoirement au chevet de cette naïve République populaire, vidée de son sang et de son énergie.
Gustave Geffroy.

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